mardi 6 mai 2008

Mon amitié avec une jeune star par Éric Gaudreau

Lorsque que je rencontre Robin pour la première fois nous sommes tous deux de frêles garçons âgés de 11 ans. Nous venons tout juste de faire notre entrée au Petit Séminaire où nous passerons les sept prochaines années à nous côtoyer entre les plus vieux murs de la ville de Québec, dans ce qui fût la première Université de langue française en Amé­rique. Nous l'évoquerons toujours avec une joie renou­velée et non sans une certaine fierté, même dans les dernières années de sa vie. Si à cette époque ma vie se résume au hockey, celle de Robin orbite autour des échecs. Sans le savoir encore, nous partageons une soif effrénée de compétition et sommes déjà vendus à la beauté que nos deux disciplines respectives nous apportent. Aucun doute que ces deux facettes forgeront les bases de notre jeune amitié. Je viens tout juste d'apprendre à jouer aux échecs et le jeu m'a frappé de plein fouet. Mon premier jeu est déjà acheté et je reviens de la bibliothèque avec le livre d'Henri Tranquille. C'est seulement quelques semaines plus tard que j'apprends que Robin s'y adonne aussi. Après les classes, je le rencontre dans une petite classe assis sur les banquettes bleues où le Séminaire y encourageait la pratique du noble jeu. "Tu joues aux échecs Robin?" Je m'assois, répète la suite jusqu'à 3.Fb5 recommandée par Monsieur Tranquille... et me fait "tranquillement'' défoncer en quelques coups! Impressionné et en furie tout à la fois de me faire sortir du jeu aussi rapidement, je me rends bien vite compte que ce n'est pas n'importe quel garçon qui se tient devant moi. Mes interro­gations seront vite élucidées quand un matin, me préparant à aller distribuer le journal de Québec à mes abonnés, j'aperçois Robin en première page!! Robin est une star!


Pour toute la peuplade du Petit Séminaire, cette publication aura l'effet d'une bombe surtout pour une si jeune troupe. Si malheureusement à ce moment Robin devient une certaine source de risée pour quelques compagnons de classe - un champion d'échecs étant pour l'époque plutôt «exotique» - de mon côté, je me réjouissais de connaître quelqu'un qui possédait une maîtrise certaine d'un jeu aussi complexe que les échecs. Ce n'est pourtant que deux ans plus tard que je vais m'intéresser un peu plus aux échecs. Devant malheureu­sement abandonner le hockey, je voyais bien que la pratique de ce jeu pouvait me procurer la dose d'adrénaline que le sport que je chérissais tant me donnait à cette époque. Commence alors un plongeon vertigineux dans le monde des échecs que Robin va gracieu­sement me faire faire. Dans les trois années qui vont suivre, sans même avoir fait un seul tournoi, Robin devient pour moi un livre ouvert sur les échecs: je sais tout ce qu'il y a à savoir tant sur la scène mondiale que celle du Québec. Robin était un homme généreux. Ces trois années, il me fait don de tout son savoir sur le monde des échecs et ce sans que j'aie à ouvrir un seul bouquin. C'est quelque chose qui, encore aujourd'hui, me fait beaucoup plaisir et me remémore une période bouillonnante de nouvelles connaissances sur le monde des échecs. Et Robin en parlait avec une telle passion que les heures pouvaient passer sans que je m'en rende compte. Étrangement, c'est en achetant le livre de Kasparov que j'ai réalisé que l'idée de faire le chemin de tous les champions du monde avait été suivie par Robin quelques vingt ans plus tôt avec moi! C'est ainsi qu'il m'initia aux parties de Morphy et d'Anderssen, puis à celles de Staunton et de La Bourdonnais, en passant par Steinitz ou même Zukertort, pour ensuite arriver jusqu'à Fischer, son idole. Cet historique était bien sûr agrémenté d'analyses de ses propres parties disputées sur la scène québécoise, en passant par de nombreuses anecdotes qui meublaient les échecs au Québec à cette époque.
Voilà. Tout cela est bien court mais retrace un peu les débuts de notre amitié, de ma rencontre avec un homme passionné pour les échecs et aussi assoiffé de connaissance sur tous les sujets, d'un homme généreux qu'il faisait bon avoir près de soi. Je considère avoir connu Robin sur un tout autre angle que la plupart de ceux qui l'on croisé. Derrière son allure parfois extravagante se cachait un homme joyeux et sensible à la fois. Qui ne se rappelle pas au Québec de son rire éclatant? Quelques fois je l'entends encore et je souris... jetant un baume sur la tristesse de l'avoir vu quitter ce monde prématurément et d'avoir perdu un ami qui me manquera jusqu'au moment d'aller le rejoindre... Salut Robin

Parties de Robin avec les blancs: ICI
Parties de Robin avec les noirs : ICI

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